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LII
EUGÈNE DELACROIX.

égard d’une sévérité extrême et compare ses tableaux « à la patiente récréation d’un amateur qui n’a aucune exécution comme peintre ». De même pour Flandrin, dont il ne pouvait goûter, on le conçoit, la manière sèche et guindée, le parti pris d’affectation, le style froid et voulu. Delacroix aimait trop la vie, la spontanéité, tout cet ensemble de qualités originales dont nous l’avons vu faire l’éloge, pour être indulgent à cet art raide et maniéré. Le nom d’Ingres, est-il besoin de le dire ? revient constamment sous sa plume : il suit ses expositions, note au retour l’impression reçue, tâche de se procurer, par tous les moyens possibles, des esquisses ou des dessins de son rival, les copie ou les calque, car il entend pénétrer ses secrets et ne le juger qu’en connaissance de cause. Néanmoins il semble à son égard d’une rigueur excessive, que certains trouveront assez voisine de l’injustice ; il insiste avec complaisance sur ses défauts, ferme volontairement les yeux sur des qualités incontestables, que lui-même ne pouvait contester ; il s’obstine à ne pas les voir et contre lui seul peut-être laisse percer une animosité manifeste. Cette animosité trouve sa cause, sinon son excuse, dans une parfaite réciprocité, et si l’on réfléchit à la violence, à l’âpreté des critiques qui furent dirigées contre ses œuvres au nom des théories artistiques chères à son illustre adversaire, on comprend qu’il ait été aveuglé sur sa réelle valeur, on comprend surtout qu’il ne faut pas demander à la générosité humaine plus qu’elle ne peut donner ! L’impartialité de Delacroix est entière quand il juge des artistes dont les théories allaient contre les siennes, mais dans l’œuvre desquels il découvre un véritable talent : Courbet entre autres. Nous savons