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XLIX
EUGÈNE DELACROIX.

Ici encore il lui manqua de ne pas les avoir vus chez eux, d’autant mieux qu’il n’existe pas d’école tenant par des racines plus profondes au milieu d’où elle sortit, s’expliquant plus complètement par ce milieu. S’il les avait étudiés à Venise, il est probable que ses opinions à leur égard eussent été modifiées en certains points. Titien est celui sur lequel il insiste le plus volontiers ; de tous les Vénitiens il est d’ailleurs celui qu’on peut le mieux connaître en dehors de Venise. Véronèse eut la plus salutaire et la plus constante influence sur le développement de son talent de coloriste. Delacroix allait l’étudier au Louvre, ne se lassant pas d’interroger ses œuvres dans lesquelles il cherchait à découvrir les secrets de la technique picturale. Le nom de Véronèse revient constamment dans le Journal, quand il parle de son métier, et c’est en s’appuyant sur ses exemples qu’il présente une défense en règle de la couleur ; en réalité, c’est sa propre cause qu’il soutient ; pour en bien comprendre l’importance, il faut se rappeler les attaques qu’il avait eu à supporter, la prépondérance que l’école d’Ingres attribuait au dessin, les reproches que vingt années durant on avait adressés à Delacroix de méconnaître le rôle de la ligne et d’avoir uniquement recours au moyen « matériel » de la couleur. Il s’insurge contre cette prétendue matérialité, et il est au moins curieux de le voir, alors qu’il l’avait surabondamment prouvé par les multiples exemples de ses œuvres personnelles, s’efforçant d’établir par le raisonnement, en 1857, que la couleur est tout aussi idéale que le dessin. Mais il est un autre peintre que Delacroix n’a jamais connu, parce qu’en dehors du Palais-Ducal et des églises de Venise on ne saurait avoir la moindre idée de