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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

c’est l’abus de cet esprit même. Oui, cet arbitre du goût, ce juge exquis abuse aussi des petits effets ; il est élégant, mais spirituel trop souvent, et ce mot est une affreuse critique. Les grands auteurs du siècle précédent sont plus simples, moins recherchés.

— J’ai été voir à quatre heures les études de Rousseau, qui m’ont fait le plus grand plaisir… Exposés ensemble, ces tableaux donneront de son talent une idée dont le public est à cent lieues, depuis vingt ans que Rousseau est privé d’exposer[1].

Mardi 26 février. — J’ai été convoqué par Durieu[2], pour juger le procédé Haro, que nous devons aller voir fonctionner à Saint-Eustache.

J’ai appris là ce que l’univers ne croira pas : la

  1. Delacroix portera plus loin un jugement sur Rousseau. Il est intéressant de noter ici l’opinion de Rousseau sur Delacroix ; on la trouve dans une très curieuse lettre du paysagiste, publiée par M. Burty dans son volume Maîtres et petits maîtres. Cette lettre contient un parallèle entre Ingres et Delacroix, et conclut ainsi : « Faut-il vous dire que je préfère Delacroix avec ses exagérations, ses fautes, ses chutes visibles, parce qu’il ne tient à rien qu’à lui, parce qu’il représente l’esprit, le temps, le verbe de son temps ? Maladif et trop nerveux peut-être, parce que son art souffre avec nous, parce que dans ses lamentations exagérées et ses triomphes retentissants, il y a toujours le souffle de la poitrine et son cri, son mal et le nôtre. Nous ne sommes plus au temps des Olympiens comme Raphaël, Véronèse et Rubens, et l’art de Delacroix est puissant comme une voix de l’Enfer du Dante. » (Ph. Burty, Maîtres et petits maîtres, p. 157.)
  2. Eugène Durieu, administrateur et écrivain, né en 1800. Entré au ministère de l’intérieur, il devint en 1847 inspecteur général des établissements d’utilité publique. Chargé, après la révolution de Février, de la direction générale de l’administration des cultes, il institua une commission des arts et édifices religieux, et créa le service des architectes diocésains pour la conservation des monuments affectés au culte.