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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

reste, fait parti ? de la discipline comme le costume, les pratiques, etc… Vive le frein !

Vendredi 30 mars. — Vu le soir chez Chopin l’enchanteresse Mme Potocka. Je l’avais entendue deux fois ; je n’ai guère rencontré quelque chose de plus complet… Vu Mme Kalerji… Elle a joué, mais peu sympathiquement ; en revanche, elle est vraiment fort belle, quand elle lève les yeux en jouant à la manière des Madeleines du Guide ou de Rubens.

Samedi 31 mars. — Le soir, vu Athalie, avec Mme de Forget dans la loge du président.

Rachel ne m’a pas fait plaisir dans toutes les parties. Mais comme j’ai admiré ce grand prêtre ! Quelle création ! Comme elle semblerait outrée dans un temps comme le nôtre ! et comme elle était à sa place avec cette société ordonnée et convaincue qui a vu Racine et qui l’a fait ce qu’il était ! Ce farouche enthousiaste, ce fanatique verbeux n’est guère de notre temps ; on égorge et on renverse à froid et sans conviction. Mathan, dans sa scène avec son confident, dit trop naïvement : « Je suis un coquin, je suis un être abominable. » Racine sort ici de la vérité, mais il est sublime quand Mathan, sortant tout troublé pour se soustraire aux imprécations du grand prêtre, ne sait plus où il va, et se dirige, sans savoir ce qu’il fait, du côté de ce sanctuaire qu’il a profané et dont l’existence l’importune.