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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

soigneusement : les femmes retirées. — L’autre jour querelle des marins qui ont voulu entrer dans une maison maure. Un nègre leur a jeté sa savate au nez.

Abou, le général qui nous a conduits, était l’autre jour assis sur le pas même de la porte ; il y avait sur le banc notre garçon de cuisine. Il n’a fait que s’incliner un peu de côté pour nous laisser passer. Il y a quelque chose de républicain dans ce sans-façon. Les grands de l’endroit vont se mettre dans un coin de la rue accroupis au soleil et causent ensemble ; on se juche dans quelque boutique de marchands. Ces gens-ci ont un certain nombre, et un petit nombre, de cas prévus ou possibles, quelques impôts, quelque punition dans une circonstance donnée ; mais tout cela sans l’ennui et le détail continus dont nous accablent nos polices modernes. L’habitude et l’usage antique règlent tout. Le même rend grâces à Dieu de sa mauvaise nourriture et de son mauvais manteau. Il se trouve trop heureux encore de les avoir.

Certains usages antiques et vulgaires ont de la ma-

    personnages consulaires, des Catons, des Brutus, auxquels il ne manque même pas l’air dédaigneux que devaient avoir les maîtres du monde ; ces gens-ci ne possèdent qu’une couverture dans laquelle ils marchent, dorment, et sont enterrés, et ils ont l’air aussi satisfait que Cicéron devait l’être de sa chaise curule. Je te le dis, vous ne pourrez jamais croire à ce que je rapporterai, parce que ce sera bien loin de la vérité et de la noblesse de ces natures. L’antique n’a rien de plus beau. » (Corresp., t. I, p. 178.) Delacroix parlant de l’Afrique, un jour, disait à Th. Silvestre qui l’a rapporté dans son livre : les Artistes vivants : « L’aspect de cette contrée restera toujours dans mes yeux ; les hommes de cette forte race s’agiteront toujours, tant que je vivrai, dans ma mémoire. C’est en eux que j’ai vraiment retrouvé la beauté antique. »