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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

faudrait partir en mars et revenir en septembre ; on aurait le temps de voir la Syrie.

Est-ce vivre que végéter comme un champignon attaché à un tronc pourri[1] ? Les habitudes mesquines m’absorbent tout entier. D’ailleurs, c’est d’avance qu’il faut se préparer.

Tant que j’aurai mes jambes, j’espère vivre matériellement. Plaise au ciel que le Salon me mette en passe de faire bientôt mes tournées ! Scheffer doit me faire connaître une affaire. Il a passé une partie du jour à mon atelier.

— J’ai presque fini le Don Quichotte et beaucoup avancé la Jane Shore.

La fille est venue ce matin poser. Hélène a dormi ou fait semblant. Je ne sais pourquoi je me crus bêtement obligé de faire mine d’adorateur pendant ce temps, mais la nature n’y était point. Je me suis rejeté sur un mal de tête, au moment de son départ et quand il n’était plus temps… Le vent avait changé. Scheffer m’a consolé le soir, et il s’est trouvé absolument dans les mêmes intentions.

Je me fais des peurs de tout, et crois toujours

  1. Dans le cours du Journal, on trouvera indiqué plus d’un projet de voyage que l’artiste ne réalisa jamais. Il est important de noter qu’il ne visita pas les musées d’Italie. En 1821, il écrivait à Soulier, alors installé à Florence : « Dieu, quel pays ! Comment, vous avez des ciels comme cela ? Des montagnes comme cela ? Je ne plaisante pas, ce diable de dessin m’avait tourné la tête, et j’avais déjà fait une foule de plans superbes pour aller manger mon petit revenu dans la Toscane, auprès de toi, mon cher ami. Mais ne parlons pas de tout cela. Je n’aurai jamais la force de prendre une résolution, et je pourrirai toute ma vie où le ciel m’a jeté en commençant. » (Corresp., t. I, p. 78.)