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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

balancer entre deux suppose une absence d’inspiration. Certes, si je prenais la palette en ce moment, et j’en meurs de besoin, le beau Velasquez me travaillerait. Je voudrais étaler sur une toile brune ou rouge de la bonne grasse couleur et épaisse. Ce qu’il faudrait donc pour trouver un sujet, c’est d’ouvrir un livre capable d’inspirer et se laisser guider par l’humeur. Il y en a qui ne doivent jamais manquer leur effet : ce sont ceux-là qu’il faut avoir, de même que des gravures, Dante, Lamartine, Byron, Michel-Ange.

J’ai vu ce matin chez Drolling[1] un dessin de plusieurs fragments de figures de Michel-Ange, dessinés par Drolling… Dieu ! quel homme ! quelle beauté ! Une chose singulière et qui serait bien belle, ce serait la réunion du style de Michel-Ange et de Velasquez ! Cette idée-là m’est venue de suite, à la vue de ce dessin ; il est doux et moelleux. Les formes ont cette mollesse qu’il semble qu’il n’y ait qu’une peinture empâtée qui puisse la donner, et en même temps les contours sont vigoureux. Les gravures d’après Michel-Ange ne donnent pas l’idée de cela : c’est là le sublime de l’exécution. Ingres a de cela : ses milieux sont doux et peu chargés de détails. Comme cela faciliterait la besogne, surtout pour les petits tableaux ! Je suis content de me rappeler cette impression.

Se bien souvenir de ces têtes de Michel-Ange.

  1. Drolling, peintre d’histoire, né en 1786, mort en 1851, élève de David, prix de Rome en 1810.