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où notre Sauveur donne à entendre que ceux sur lesquels la Tour de Siloé tomba, n’étaient pas plus coupables que les autres Galiléens. Mais ce qui me réduisit tout de bon au silence en cette occasion, c’est que pas un des cinq hommes que nous venions de perdre n’était du nombre de ceux descendus à terre lors du massacre de Madagascar, — ainsi toujours l’appelai-je, quoique l’équipage ne pût supporter qu’impatiemment ce mot de massacre. Cette dernière circonstance, comme je l’ai dit, me ferma réellement la bouche pour le moment.

Mes sempiternels sermons à ce sujet eurent des conséquences pires que je ne m’y attendais, et le maître d’équipage qui avait été le chef de l’entreprise, un beau jour vint à moi hardiment et me dit qu’il trouvait que je remettais bien souvent cette affaire sur le tapis, que je faisais d’injustes réflexions là dessus et qu’à cet égard j’en avais fort mal usé avec l’équipage et avec lui-même en particulier ; que, comme je n’étais qu’un passager, que je n’avais ni commandement dans le navire, ni intérêt dans le voyage, ils n’étaient pas obligés de supporter tout cela ; qu’après tout qui leur disait que je n’avais pas quelque mauvais dessein en tête, et ne leur susciterais pas un procès quand ils seraient de retour en Angleterre ; enfin, que si je ne me déterminais pas à en finir et à ne plus me mêler de lui et de ses affaires, il quitterait le navire, car il ne croyait pas qu’il fût sain de voyager avec moi.

Je l’écoutai assez patiemment jusqu’au bout, puis je lui répliquai qu’il était parfaitement vrai que tout du long je m’étais opposé au massacre de Madagascar, car je ne démordais pas de l’appeler ainsi, et qu’en toute occasion j’en avais parlé fort à mon aise, sans l’avoir en vue lui plus que les autres ; qu’à la vérité je n’avais point de commandement