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CORINNE OU L’ITALIE.

Grand Dieu ! s’écria Corinne, et elle tomba sur une chaise, presque évanouie.

— D’où vient cette émotion cruelle, dit lord Nelvil ? que pouvez-vous craindre de moi, Corinne, quand je vous aime avec idolâtrie ? Si mon père m’avait, en mourant, demandé d’épouser Lucile, sans doute je ne me croirais pas libre, et je me serais éloigné de votre charme irrésistible, mais il n’a fait que me conseiller ce mariage, en m’écrivant lui-même qu’il ne pouvait pas juger Lucile, puisqu’elle n’était encore qu’un enfant. Je ne l’ai vue moi-même qu’une fois, à peine alors avait-elle douze ans. Je n’ai pris avec sa mère aucun engagement avant de partir ; cependant les incertitudes, le trouble que vous avez pu remarquer dans ma conduite, venaient uniquement de ce désir de mon père : avant de vous connaître, je souhaitais de pouvoir l’accomplir, tout fugitif qu’il était, comme une espèce d’expiation envers lui, comme une manière de prolonger après sa mort l’empire de sa volonté sur mes résolutions, mais vous avez triomphé de ce sentiment, vous avez triomphé de tout moi-même, et j’ai seulement besoin de me faire pardonner ce qui dans ma conduite a dû vous paraître de la faiblesse et de l’irrésolution. Corinne, on ne se relève jamais entière-