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CORINNE OU L’ITALIE.

plus attrayante que quand elle s’évanouissait à mes pieds. Elle savait embellir sa beauté comme tout le reste de ses agrémens, et ses charmes extérieurs eux-mêmes étaient habilement combinés avec ses émotions pour me captiver.

Je vivais ainsi toujours troublé, toujours incertain, tremblant quand je recevais une lettre de mon père, plus malheureux encore quand je n’en recevais pas, retenu par l’attrait que je ressentais pour madame d’Arbigny, et surtout par la peur de son désespoir ; car, par un mélange singulier, c’était la personne la plus douce dans l’habitude de la vie, la plus égale, souvent même la plus enjouée, et néanmoins la plus violente dans une scène. Elle voulait enchaîner par le bonheur et par la crainte, et transformait ainsi toujours son naturel en moyen. Un jour, c’était au mois de septembre 1793, il y avait plus d’un an déjà que j’étais en France, je reçus une lettre de mon père, conçue en peu de mots ; mais ces mots étaient si sombres et si douloureux, qu’il faut, Corinne, m’épargner de vous les dire, ils me feraient trop de mal. Mon père était déjà malade, mais il ne me le dit pas, sa délicatesse et sa fierté l’en empêchèrent. Cependant toute sa lettre exprimait tant de douleur, et sur mon absence et sur la possibilité de mon mariage avec