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CORINNE OU L’ITALIE.

permission de partir seul ; mais elle me menaça de se livrer à ses assassins si je la quittais, et sortit deux fois en plein jour, dans un trouble affreux qui me pénétra de douleur et de crainte. Je la suivis dans la rue, en la conjurant en vain de revenir. Heureusement, par hasard, ou à dessein, nous rencontrâmes chaque fois M. de Maltigues, et il la ramena, en lui faisant sentir l’imprudence de sa conduite. Alors je me résignai à rester, et j’écrivis à mon père en motivant, autant que je le pus, ma conduite ; mais je rougissais d’être en France, au milieu des événemens affreux qui s’y passaient, et lorsque mon pays était en guerre avec les Français.

M. de Maltigues se moquait souvent de mes scrupules ; mais, tout spirituel qu’il était, il ne prévoyait pas, ou ne se donnait pas la peine d’observer l’effet de ses plaisanteries ; car elles réveillaient en moi tous les sentimens qu’il voulait éteindre. Madame d’Arbigny remarquait bien l’impression que je recevais, mais elle n’avait point d’empire sur M. de Maltigues, qui se décidait souvent par le caprice, au défaut de l’intérêt. Elle recourait pour m’attendrir à sa douleur véritable, à sa douleur exagérée ; elle se servait de la faiblesse de sa santé autant pour plaire que pour toucher, car elle n’était jamais