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ler vos morts : c’est la seule propriété glorieuse qui vous reste. Oh ! pourquoi donc Oswald a-t-il étouffé ces dons que j’avais reçus du ciel et que je devais faire servir à exciter l’enthousiasme dans les ames qui s’accordent avec la mienne ? Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle en se mettant à genoux, ce n’est point par un vain orgueil que je vous conjure de me rendre les talens que vous m’aviez accordés. Sans doute ils sont les meilleurs de tous, ces saints obscurs qui ont su vivre et mourir pour vous ; mais il est différentes carrières pour les mortels, et le génie qui célébrerait les vertus généreuses, le génie qui se consacrerait à tout ce qui est noble, humain et vrai, pourrait être reçu du moins dans les parvis extérieurs du ciel. — Les yeux de Corinne étaient baissés en achevant cette prière, et ses regards furent frappés par cette inscription d’un tombeau sur lequel elle s’était mise à genoux : — Seule à mon aurore, seule à mon couchant, je suis seule encore ici.

— Ah ! s’écria Corinne, c’est la réponse à ma prière. Quelle émulation peut-on éprouver, quand on est seule sur la terre ? Qui partagerait mes succès, si j’en pouvais obtenir ? Qui s’intéresse à mon sort ? Quel sentiment pourrait encourager mon esprit au travail ? il me fallait son regard pour récompense. —