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CORINNE OU L’ITALIE.

aucun bonheur de sentiment n’était durable ; et puis elle déchira cette lettre encore plus vivement que la première. — S’il ne sait pas ce que je vaux, disait-elle, est-ce moi qui le lui apprendrai ? Et d’ailleurs dois-je parler ainsi de ma sœur ? Est-il vrai qu’elle me soit inférieure autant que je cherche à me le persuader ? Et quand elle le serait, est-ce à moi qui, comme une mère, l’ai pressée dans son enfance contre mon cœur, est-ce à moi qu’il appartiendrait de le dire ? Ah ! non, il ne faut pas vouloir ainsi son propre bonheur à tout prix. Elle passe, cette vie pendant laquelle on a tant de désirs ; et, long-temps même avant la mort, quelque chose de doux et de rêveur nous détache par degrés de l’existence —

Elle reprit encore une fois la plume, et ne parla que de son malheur ; mais en l’exprimant elle éprouvait une telle pitié d’elle-même, qu’elle couvrait son papier de ses larmes ! — Non, dit-elle encore, il ne faut pas envoyer cette lettre ; s’il y résiste, je le haïrai ; s’il y cède, je ne saurai pas s’il n’a pas fait un sacrifice, s’il ne conserve pas le souvenir d’une autre. Il vaut mieux le voir, lui parler, lui remettre cet anneau, gage de ses promesses ; et elle se hâta de l’envelopper