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CORINNE OU L’ITALIE.

visage défiguré par une affreuse maladie, vêtue de noir et couverte d’un voile, pour dérober, s’il était possible, sa vue à ceux dont elle approchait. Cette femme ainsi maltraitée par la nature se chargeait de la collecte des aumônes. Elle demanda noblement et avec une sécurité touchante des secours pour les pauvres ; Corinne lui donna beaucoup d’argent, en lui faisant promettre seulement de prier pour elle. La pauvre femme qui s’était résignée à son sort regardait avec étonnement cette belle personne si pleine de force et de vie, riche, jeune, admirée, et qui semblait cependant accablée par le malheur. — Mon Dieu ! madame, lui dit-elle, je voudrais bien que vous fussiez aussi calme que moi. — Quel mot adressé par une femme, dans cet état, à la plus brillante personne d’Italie, qui succombait au désespoir !

Ah ! la puissance d’aimer est trop grande, elle l’est trop dans les ames ardentes ! Qu’elles sont heureuses celles qui consacrent à Dieu seul ce profond sentiment d’amour dont les habitans de la terre ne sont pas dignes ! Mais le temps n’en était pas encore venu pour Corinne ; il lui fallait encore des illusions, elle voulait encore du bonheur ; elle priait, mais elle n’était pas encore résignée. Ses rares talens, la gloire qu’elle avait