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CORINNE OU L’ITALIE.

appartement ; la Bouche du lion, où toutes les dénonciations étaient jetées, se trouve aussi dans le palais dont le chef du gouvernement faisait sa demeure : la salle où se tenaient les inquisiteurs d’état était tendue de noir, et le jour n’y venait que d’en haut ; le jugement ressemblait d’avance à la condamnation ; le Pont des soupirs, c’est ainsi qu’on l’appelait, conduisait du palais du Doge à la prison des criminels d’état. En passant sur le canal qui bordait ces prisons on entendait crier : Justice, secours ! et ces voix gémissantes et confuses ne pouvaient pas être reconnues. Enfin quand un criminel d’état était condamné, une barque venait le prendre pendant la nuit ; il sortait par une petite porte qui s’ouvrait sur le canal ; on le conduisait à quelque distance de la ville, et on le noyait dans un endroit des lagunes où il était défendu de pêcher : horrible idée qui perpétue le secret jusques après la mort, et ne laisse pas au malheureux l’espoir que ses restes du moins apprendront à ses amis qu’il a souffert, et qu’il n’est plus !

À l’époque où Corinne et lord Nelvil vinrent a Venise, il y avait près d’un siècle que de telles exécutions n’avaient plus lieu ; mais le mystère qui frappe l’imagination existait en-