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CORINNE OU L’ITALIE.

Les hommes en général ont plus d’esprit encore à Venise que dans le reste de l’Italie, parce que leur gouvernement, tel qu’il était, leur a plus souvent offert des occasions de penser ; mais leur imagination n’est pas naturellement aussi ardente que dans le midi de l’Italie : et la plupart des femmes, quoique très-aimables, ont pris, par l’habitude de vivre dans le monde, un langage de sentimentalité qui, ne gênant en rien la liberté des mœurs, ne fait que mettre de l’affectation dans la galanterie. Le grand mérite des Italiennes, à travers tous leurs torts, c’est de n’avoir aucune vanité : ce mérite est un peu perdu à Venise où il y a plus de sociétés que dans aucune autre ville d’Italie ; car la vanité se développe surtout par la société. On y est applaudi si vite, et si souvent, que tous les calculs y sont instantanés, et que, pour le succès, l’on n’y fait pas crédit au temps d’une minute. Néanmoins, on trouvait encore à Venise beaucoup de traces de l’originalité et de la facilité des manières italiennes. Les plus grandes dames recevaient toutes leurs visites dans les cafés de la place Saint-Marc, et cette confusion bizarre empêchait que les salons ne devinssent trop sérieusement une arène pour les prétentions de l’amour-propre.