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CORINNE OU L’ITALIE.

ma fortune qui est assez considérable ; mais elle ne m’a plus écrit. Cinq ans se sont écoulés depuis ce moment jusqu’à celui où je vous ai vu ; cinq ans pendant lesquels j’ai goûté assez de bonheur ; je suis venue m’établir à Rome, ma réputation s’est accrue, les beaux-arts et la littérature m’ont encore donné plus de jouissances solitaires qu’ils ne m’ont valu de succès, et je n’ai pas connu, jusques à vous, tout l’empire que le sentiment peut exercer ; mon imagination colorait et décolorait quelquefois mes illusions sans me causer de vives peines ; je n’avais point encore été saisie par une affection qui pût me dominer. L’admiration, le respect, l’amour, n’enchaînaient point toutes les facultés de mon ame ; je concevais, même en aimant, plus de qualités et plus de charmes que je n’en ai rencontré ; enfin je restais supérieure à mes propres impressions, au lieu d’être entièrement subjuguée par elles.

N’exigez point que je vous raconte comment deux hommes, dont la passion pour moi n’a que trop éclaté, ont occupé successivement ma vie avant de vous connaître : il faudrait faire violence à ma conviction intime pour me persuader maintenant qu’un autre que vous a pu m’intéresser, et j’en éprouve autant de repentir