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CORINNE OU L’ITALIE.

mari et la santé de ses enfans ; que toutes les autres prétentions ne faisaient que du mal, et que le meilleur conseil qu’elle avait à me donner, c’était de les cacher si je les avais ; et ce discours, tout commun qu’il était, me laissait absolument sans réponse : car l’émulation, i’enthousiasme, tous ces moteurs de l’ame et du génie ont singulièrement besoin d’être encouragés, et se flétrissent comme les fleurs sous un ciel triste et glacé.

Il n’y a rien de si facile que de se donner l’air très-moral, en condamnant tout ce qui tient à une ame élevée. Le devoir, la plus noble destination de l’homme, peut être dénaturé comme toute autre idée, et devenir une arme hostile, dont les esprits étroits, les gens médiocres et contens de l’être se servent pour imposer silence au talent et se débarrasser de l’enthousiasme, du génie, enfin de tous leurs ennemis. On dirait, à les entendre, que le devoir consiste dans le sacrifice des facultés distinguées que l’on possède, et que l’esprit est un tort qu’il faut expier, en menant précisément la même vie que ceux qui en manquent ; mais est-il vrai que le devoir prescrive à tous les caractères des règles semblables ? Les grandes pensées, les sentimens généreux ne sont-ils pas dans ce monde la dette