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CORINNE OU L’ITALIE.

pelais plein de grâce et de vivacité, tel que je l’avais vu dans mon enfance, et je le voyais courbé maintenant sous ce manteau de plomb, que Le Dante décrit dans l’enfer, et que la médiocrité jette sur les épaules de ceux qui passent sous son joug ; tout s’éloignait à mes regards, l’enthousiasme de la nature, des beaux-arts, des sentimens ; et mon ame me tourmentait comme une flamme inutile qui me dévorait moi-même, n’ayant plus d’alimens au-dehors. Comme je suis naturellement douce, ma belle-mère n’avait point à se plaindre de moi dans mes rapports avec elle ; mon père encore moins, car je l’aimais tendrement, et c’était dans mes entretiens avec lui que je trouvais encore quelque plaisir. Il était résigné, mais il savait qu’il l’était ; tandis que la plupart de nos gentilshommes campagnards, buvant, chassant et dormant, croyaient mener la plus sage et la plus belle vie du monde.

Leur contentement me troublait à un tel point, que je me demandais si ce n’était pas moi dont la manière de penser était une folie, et si cette existence toute solide qui échappe à la douleur comme à la pensée, au sentiment comme à la rêverie, ne valait pas beaucoup mieux que ma manière d’être ; mais à quoi m’au-