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CORINNE OU L’ITALIE

monde, animé par le sentiment, sans lequel le monde lui-même est un désert[1]. Ah, Corinne, que succèdera-t-il à ces jours plus heureux que mon sort et mon cœur ne le permettent ! — Corinne lui répondit avec douceur : — Toutes les affections sincères viennent du ciel, Oswald, pourquoi ne protégerait-il pas ce qu’il inspire ? C’est à lui qu’il appartient de disposer de nous. —

Alors St-Pierre leur apparut, cet édifice, le plus grand que les hommes aient jamais élevé, car les pyramides d’Égypte elles-mêmes lui sont inférieures en hauteur. — J’aurais peut-être dû vous faire voir le plus beau de nos édifices, dit Corinne, le dernier, mais ce n’est pas mon système. Il me semble que pour se rendre sensible aux beaux arts, il faut commencer par voir les objets qui inspirent une admiration vive et profonde. Ce sentiment, une fois éprouvé, révèle pour ainsi dire une nouvelle sphère d’idées, et rend ensuite plus capable d’aimer et de juger tout ce qui, dans un ordre même inférieur, retrace cependant la première impression qu’on a reçue. Toutes ces gradations, ces manières prudentes et nuancées pour préparer les grands effets, ne sont point de mon goût. On n’arrive point au sublime par degrés, des distances infinies le séparent même de ce qui n’est que beau. —

  1. Eine Welt zwar bist du, o Rom ; dockohne die Liebe
    Ware die Welt nicht die Welt, ware denn Rom auch nicht Rom.

    Ces deux vers sont de Goethe, le poëte de l’Allemagne, le philosophe, l’homme de lettres vivant, dont l’originalité et l’imagination sont les plus remarquables.