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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

pendant rien n’est plus rare que de caractériser assez des personnages inconnus, pour qu’ils aient autant de consistance que de noms déjà célèbres. Léar, Othello, Orosmane, Tancrède ont reçu de Shakespear et de Voltaire l’immortaiité, sans avoir joui de la vie : toutefois les sujets d’invention sont d’ordinaire l’écueil poëte, par l’indépendance même qu’ils lui laissent. Les sujets historiques semblent imposer de la gêne ; mais quand on saisit bien le point d’appui qu’offrent de certaines bornes, la carrière qu’elles tracent et l’élan qu’elles permettent, ces bornes mêmes sont favorables au talent. La poésie fidèle fait ressortir la vérité comme le rayon du soleil les couleurs, et donne aux événements qu’elle retrace l’éclat que les ténèbres du temps leur avoient ravi.

L’on préfère en Allemagne les tragédies historiques, lorsque l’art s’y manifeste, comme le Prophète du passé[1]. L’auteur qui veut composer un tel ouvrage doit se transporter en entier dans le siècle et dans les mœurs des per-

  1. Expression de Frédéric Schlegel, sur la pénétration d’un grand historien.