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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

les plus sombrer. Ils sont encore plus doux que notre existence actuelle ; ils nous ramènent à cet âge où le fleuve de la vie réfléchit encore le ciel.

Un soir d’été j’étois couché sur le sommet d’une colline, je m’y endormis, et je rêvai que je me réveillois au milieu de la nuit dans un cimetière. L’horloge sonnoit onze heures. Toutes les tombes étoient entr’ouvertes, et les portes de fer de l’église, agitées par une main invisible, s’ouvroient et se refermoient à grand bruit. Je voyois sur les murs s’enfuir des ombres, qui n’y étoient projetées par aucun corps : d’autres ombres livides s’élevoient dans les airs, et les enfants seuls reposoient encore dans les cercueils. Il y avoit dans le ciel comme un nuage grisâtre, lourd, étouffant, qu’un fantôme gigantesque serroit et pressoit à longs plis. Au-dessus de moi j’entendois la chute lointaine des avalanches, et sous mes pas la première commotion d’un vaste tremblement de terre. Toute l’église vacilloit, et l’air étoit ébranlé par des sons déchirants qui cherchoient vainement à s’accorder. Quelques pâles éclairs jetoient une lueur sombre. Je me sentis poussé par la terreur même à chercher un abri dans le temple ;