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DES ROMANS.

à aucune situation, et qu’on se promène librement à travers la nature pour y chercher des inspirations et des modèles. Cette existence voyageuse et rêveuse tout à la fois n’est bien sentie qu’en Allemagne. Dans les romans français nous décrivons toujours les mœurs et les relations sociales ; mais il y a un grand secret de bonheur dans cette imagination qui plane sur la terre en la parcourant, et ne se mêle point aux intérêts actifs de ce monde.

Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels, c’est une destinée heureuse dont les circonstances se succèdent et s’enchaînent selon nos souhaits ; mais les impressions isolées sont pour la plupart assez douces, et le présent, quand on peut le considérer à part des souvenirs et des craintes, est encore le meilleur moment de l’homme. Il y a donc une philosophie poétique très-sage dans ces jouissances instantanées dont l’existence d’un artiste se compose ; les sites nouveaux, les accidents de lumière qui les embellissent sont pour lui des événements qui commencent et finissent le même jour, et n’ont rien à faire avec le passé ni avec l’avenir ; les affections du cœur dérobent l’aspect de la nature, et l’on s’étonne en lisant le roman de Tieck de