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DES ROMANS.

doutes. Il y a dans l’ouvrage de Goethe une foule de pensées et d’observations fines ; mais il est vrai que l’intérêt y languit souvent, et qu’on trouve presque autant de lacunes dans ce roman que dans la vie humaine telle qu’elle se passe ordinairement. Un roman cependant ne doit pas ressembler à des mémoires particuliers car tout intéresse dans ce qui a existé réellement, tandis qu’une fiction ne peut égaler l’effet de la vérité qu’en la surpassant, c’est-à-dire en ayant plus de force, plus d’ensemble et plus d’action qu’elle.

La description du jardin du baron et des embellissements qu’y fait la baronne absorbe plus du tiers du roman ; et l’on a peine à partir de là pour être ému par une catastrophe tragique : la mort du héros et de l’héroïne ne semble plus qu’un accident fortuit, parce que le cœur n’est pas préparé long-temps d’avance à sentir et à partager la peine qu’ils éprouvent. Cet écrit offre un singulier mélange de l’existence commode et des sentiments orageux ; une imagination pleine de grâce et de force s’approche des plus grands effets pour les délaisser tout à coup, comme s’il ne valoit pas la peine de les produire ; et l’on diroit que l’émotion fait du mal