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DES ROMANS.

gradation de l’être n’ayant en rien commencé, le tombeau ne semble qu’une image poétique, qu’un sommeil environné de figures à genoux qui nous pleurent ; il n’en est plus ainsi même dès le milieu de la vie, et l’on apprend alors pourquoi la religion, cette science de l’âme, a mêlé l’horreur du meurtre à l’attentat contre soi-même.

Goethe néanmoins auroit grand tort de dédaigner l’admirable talent qui se manifeste dans Werther ; ce ne sont pas seulement les souffrances de l’amour, mais les maladies de l’imagination dans notre siècle, dont il a su faire le tableau ; ces pensées qui se pressent dans l’esprit sans qu’on puisse les changer en actes de la volonté ; le contraste singulier d’une vie beaucoup plus monotone que celle des anciens, et d’une existence intérieure beaucoup plus agitée, causent une sorte d’étourdissement semblable à celui qu’on prend sur le bord de l’abîme, et la fatigue même qu’on éprouve après l’avoir long-temps contemplé peut entraîner à s’y précipiter. Goethe a su joindre à cette peinture des inquiétudes de l’âme, si philosophique dans ses résultats, une fiction simple, mais d’un intérêt prodigieux. Si l’on a cru nécessaire dans toutes les sciences de frapper les yeux, par les signes extérieurs, n’est-il