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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

S’approchoient, me montroient avec un ris farouche :
Leur doigt mystérieux se posoit sur leur bouche.
Je leur parle, et dans l’ombre ils s’échappent soudain,
L’un avec un poignard, l’autre un sceptre à la main ;
L’autre d’un long serpent serroit le corps livide :
Tous trois vers ce palais ont pris un vol rapide,
Et tous trois dans les airs, en fuyant loin de moi,
M’ont laissé pour adieu ces mots : Tu seras Roi.

La voix basse et mystérieuse de l’acteur en prononçant ces vers, la manière dont il plaçoit son doigt sur sa bouche comme la statue du silence, son regard qui s’altéroit pour exprimer un souvenir horrible et repoussant ; tout étoit combiné pour peindre un merveilleux nouveau sur notre théâtre, et dont aucune tradition antérieure ne pouvoit donner l’idée.

Othello n’a pas réussi dernièrement sur la scène française ; il semble qu’Orosmane empêche qu’on ne comprenne bien Othello ; mais quand c est Talma qui joue cette pièce, le cinquième acte émeut comme si l’assassinat se passoit sous nos yeux ; j’ai vu Talma déclamer dans la chambre la dernière scène avec sa femme, dont la voix et la figure conviennent si bien à Desdemona ; il lui suffisoit de passer sa main sur ses cheveux et de froncer le sourcil pour être le Maure de Venise, et la terreur saisissoit à deux