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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

bien qu’il soit en paix avec sa conscience, n’a pu dissiper le trouble de son imagination. Je jugeai l’homme qui étoit représenté devant moi, comme on pénètre un caractère dans la vie d’après des mouvements, des regards, des accents qui le trahissent à son insçu. En France, la plupart de nos acteurs n’ont jamais l’air d’ignorer ce qu’ils font ; au contraire, il y a quelque chose d’étudié dans tous les moyens qu’ils emploient, et l’on en prévoit d’avance l’effet.

Schroeder, dont tous les Allemands parlent comme d’un acteur admirable, ne pouvoit supporter qu’on dît qu’il avoit bien joué tel ou tel moment, ou bien déclamé tel ou tel vers. — Ai-je bien joué le rôle, demandoit-il ? ai-je été le personnage ? — Et en effet son talent sembloit changer de nature chaque fois qu’il changeoit de rôle. L’on n’oseroit pas en France réciter, comme il le faisoit souvent, la tragédie du ton habituel de la conversation. Il y a une couleur générale, un accent convenu qui est de rigueur dans les vers alexandrins, et les mouvements les plus passionnés reposent sur ce piédestal, qui est comme la donnée nécessaire de l’art. Les acteurs français d’ordinaire visent à