Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
DE LA COMÉDIE

soumis aux convenances ; il s’est avisé de vouloir mêler à tout cela une sensibilité de commande dont l’affectation se trahit sans cesse. Il croit aimer les sombres forêts, le clair de lune, les nuits étoilées ; mais comme il craint le froid et la fatigue, il a fait faire des décorations qui représentent ces divers objets, et ne voyage jamais que suivi d’un grand chariot qui transporte en poste derrière lui les beautés de la nature.

Ce prince sentimental se croit aussi amoureux d’une femme dont on lui a vanté l’esprit et les talents ; cette femme, pour l’éprouver, met à sa place un mannequin voilé qui, comme on le pense bien, ne dit jamais rien d’inconvenable, et dont le silence passe tout à la fois pour la réserve du bon goût et la rêverie mélancolique d’une âme tendre.

Le prince, enchanté de cette compagne selon ses désirs, demande le mannequin en mariage, et ne découvre qu’à la fin qu’il est assez malheureux pour avoir choisi une véritable poupée pour épouse, tandis que sa cour lui offroit un si grand nombre de femmes qui en auroient réuni les principaux avantages.

L’on ne sauroit le nier cependant, ces idées ingénieuses ne suffisent pas pour faire une bonne