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LA LITTÉRATURE ET MES ARTS

la liberté. Traverser le pathétique, c’est-à-dire aller au-delà de l’émotion que les forces de l’âme sont capables de supporter, c’est en manquer l’effet.

Klinger, connu par d’autres écrits pleins de profondeur et de sagacité, a composé une tragédie d’un grand intérêt, intitulée les Jumeaux. La rage qu’éprouve celui des deux frères qui passe pour le cadet, sa révolte contre un droit d’aînesse, l’effet d’un instant, est admirablement peinte dans cette pièce : quelques écrivains ont prétendu que c’est à ce genre de jalousie qu’il faut attribuer le destin du masque de fer : quoi qu’il en soit, on comprend très-bien comment la haine que le droit d’aînesse peut exciter doit être plus vive entre des jumeaux. Les deux frères sortent tous les deux à cheval ; on attend leur retour, le jour se passe sans qu’ils reparoissent ; mais le soir on aperçoit de loin le cheval de l’aîné, qui revient seul dans la maison du père : une circonstance aussi simple ne pourroit guère se raconter dans nos tragédies, et cependant elle glace le sang dans les veines : le frère a tué le frère, et le père, indigné, venge la mort d’un fils sur le dernier qui lui reste. Cette tragédie, pleine de chaleur et d’éloquence, feroit, ce me semble,