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PIÈCES DU THÉATRE ALLEMAND

Parmi les tragédies en prose qui s’élèvent au-dessus du genre du drame il faut compter quelques essais de Gerstenberg. Il a imaginé de choisir la mort d’Ugolin pour sujet d’une tragédie ; l’unité de lieu y est forcée, puisque la pièce commence et finit dans la cour où périt Ugolin avec ses trois fils ; quant à l’unité de temps, il faut plus de vingt-quatre heures pour mourir de faim ; mais du reste l’événement est toujours le même, et seulement l’horreur croissante en marque le progrès. Il n’y a rien de plus sublime dans Le Dante que la peinture du malheureux père qui a vu périr ses trois enfants à côté de lui, et s’acharne dans les enfers sur le crâne du farouche ennemi dont il fut la victime, mais cet épisode ne sauroit être le sujet d’un drame. Il ne snffit pas d’une catastrophe pour faire une tragédie ; la pièce de Gerstenberg contient des beautés énergiques, et le moment où l’on entend murer la prison cause la plus terrible impression que l’àme puisse éprouver, c’est la mort vivante ; mais le désespoir ne peut se soutenir cinq actes ; le spectateur doit en mourir ou se consoler ; et l’on pourroit appliquer à cette tragédie ce qu’un spirituel Américain, M. G. Morris, disoit des Français en 1790, Ils ont traversé