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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

service s’exprime ainsi sur lui : « Cet homme gigantesque, dit-il, ne recèle point de cœur dans sa terrible poitrine. La foudre de la toute-puissance est dans sa main ; mais il ne sait point y joindre l’apothéose de l’amour. Il ressemble au jeune aigle qui tient le globe entier dans l’une de ses griffes, et doit le dévorer pour sa nourriture. » Ce peu de mots annonce dignement Charles-Quint ; mais il est plus facile de peindre un tel homme que de le faire parler lui-même.

Luther se fie à la parole de Charles-Quint, quoique cent ans auparavant, au Concile de Constance, Jean Hus et Jérôme de Prague eussent été brûlés vifs, malgré le sauf-conduit de l’empereur Sigismond. À la veille de se rendre à Worms, où se tient la diète de l’Empire, le courage de Luther foiblit pendant quelques instants ; il se sent saisi par la terreur et le découragement. Son jeune disciple lui apporte la flûte dont il avoit coutume de jouer pour ranimer ses esprits abattus ; il la prend, et des accords harmonieux font rentrer dans son cœur toute cette confiance en Dieu, qui est la merveille de l’existence spirituelle. On dit que ce moment produisit beaucoup d’effet sur le théâtre