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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

mesure, ni l’art qui choisit et termine ; mais si l’imagination pouvoit se figurer un chaos intellectuel tel que l’on a souvent décrit le chaos matériel, le Faust de Goethe devroit avoir été composé à cette époque. On ne sauroit aller au-delà en fait de hardiesse de pensée, et le souvenir qui reste de cet écrit tient toujours un peu du vertige. Le diable est le héros de cette pièce ; l’auteur ne l’a point conçu comme un fantôme hideux, tel qu’on a coutume de le représenter aux enfants ; il en a fait, si l’on peut s’exprimer ainsi, le méchant par excellence, auprès duquel tous les méchants, et celui de Gresset en particulier, ne sont que des novices, à peine dignes d’être les serviteurs de Méphistophélès. (C’est le nom du démon qui se fait l’ami de Faust.) Goethe a voulu montrer dans ce personnage, réel et fantastique tout à la fois, la plus arrière plaisanterie que le dédain puisse inspirer, et néanmoins une audace de gaieté qui amuse. Il y a dans les discours de Méphistophélès une ironie infernale qui porte sur la création toute entière, et juge l’univers comme un mauvais livre dont le diable se fait le censeur.

Méphistophélès déjoue l’esprit lui-même, comme le plus grand des ridicules, quand il