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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

sur les émotions de l’âme, et qui peut convenir dans la philosophie, mais point du tout dans l’art dramatique.

On peut sans crainte adresser ces critiques à Goethe ; car presque tous ses ouvrages sont composés dans des systèmes différents ; tantôt il s’abandonne à la passion, comme dans Werther et le Comte d’Egmont. Une autrefois il ébranle toutes les cordes de l’imagination par ses poésies fugitives. Une autrefois il peint l’histoire avec une vérité scrupuleuse, comme dans Goetz de Berlichingen. Une autrefois il est naïf comme les anciens, dans Herman, et Dorothée. Enfin il se plonge avec Faust dans le tourbillon de la vie ; puis, tout à coup, dans Le Tasse, la Fille naturelle, et même dans Iphigénie, il conçoit l’art dramatique comme un monument élevé près des tombeaux. Ses ouvrages ont alors les belles formes, la splendeur et l’éclat du marbre ; mais ils en ont aussi la froide immobilité. On ne sauroit critiquer Goethe comme un auteur bon dans tel genre et mauvais dans tel autre. Il ressemble plutôt à la nature, qui produit tout et de tout ; et l’on peut aimer mieux son climat du midi que son climat du nord, sans méconnoître en lui les talents qui s’accordent avec ces diverses régions de l’âme.