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TORQUATO TASSO

ont coutume de continuer les occupations qu’ils avoient pendant leur vie ; là le chasseur, ombre de lui-même, poursuit l’ombre d’un cerf avec ardeur et les fantômes des guerriers se battent sur le terrain des nuages. Il paroît que, pendant quelque temps, Goethe s’est tout-à-fait dégoûté de l’intérêt dans les pièces de théâtre. L’on en trouvoit dans de mauvais ouvrages ; il a pensé qu’il falloit le bannir des bons. Néanmoins un homme supérieur a tort de dédaigner ce qui plaît universellement ; il ne faut pas qu’il abjure sa ressemblance avec la nature de tous, s’il veut faire valoir ce qui le distingue. Le point qu’Archiniède cherchoit pour soulever le monde est celui par lequel un génie extraordinaire se rapproche du commun des hommes. Ce point de contact lui sert à s’élever au-dessus des autres ; il doit partir de ce que nous éprouvons tous, pour arriver à faire sentir ce que lui seul aperçoit. D’ailleurs, s’il est vrai que le despotisme des convenances mêle souvent quelque chose de factice aux plus belles tragédies françaises, il n’y a pas non plus de vérité dans les théories bizarres de l’esprit systématique. Si l’exagération est maniérée, un certain genre de calme est aussi une affectation. C’est une supériorité qu’on s’arroge