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TORQUATO TASSO

brave comme ses chevaliers, amoureux, aimé, persécuté, couronné, et jeune encore mourant de douleur à la veille de son triomphe, est un superbe exemple de toutes les splendeurs et de tous les revers d’un beau talent.

Il me semble que dans la pièce du Tasse les couleurs du midi ne sont pas assez prononcées : peut-être seroit-il très-difficile de rendre en allemand la sensation que produit la langue italienne. Néanmoins c’est dans les caractères surtout qu’on retrouve les traits de la nature germanique plutôt qu’italienne. Léonore d’Est est une princesse allemande. L’analyse de son propre caractère et de ses sentiments, à laquelle elle se livre sans cesse, n’est point du tout dans l’esprit du midi. Là l’imagination ne se replie point sur elle-même ; elle avance sans regarder en arrière. Elle n’examine point la source d’un événement ; elle le combat ou s’y livre sans en rechercher la cause.

Le Tasse est aussi un poëte allemand. Cette impossibilité de se tirer d’affaire dans toutes les circonstances habituelles de la vie commune que Goethe attribue au Tasse est un trait de la vie méditative et renfermée des écrivains du nord. Les poëtes du midi n’ont pas d’ordinaire une