Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

pire le sentiment des arts. Il est vrai qu’un tel individu en contiendroit deux ; aussi Goethe dit-il dans sa pièce que les deux personnages qu’il met en contraste, le politique et le poëte, sont les deux moitiés d’un homme. Mais la sympathie ne peut exister entre ces deux moitiés, puisqu’il n’y a point de prudence dans le caractère du Tasse, ni de sensibilité dans son concurrent.

La susceptibilité souffrante des hommes de lettres s’est manifestée dans Rousseau, dans Le Tasse, et plus souvent encore dans les écrivains allemands. Les écrivains français ont été plus rarement atteints. C’est quand on vit beaucoup avec soi-même et dans la solitude qu’on a de la peine à supporter l’air extérieur. La société est rude à beaucoup d’égards pour qui n’y est pas fait dès son enfance, et l’ironie du monde est plus funeste aux gens à talent qu’à tous les autres : l’esprit tout seul s’en tire mieux. Goethe auroit pu choisir la vie de Rousseau pour exemple de cette lutte entre la société telle qu’elle est, et la société telle qu’une tête poétique la voit ou la désire ; mais la situation de Rousseau prêtoit beaucoup moins à l’imagination que celle duTasse. Jean-Jacques a traîné un grand génie dans des rapports très-subalternes. Le Tasse,