Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
TORQUATO TASSO

faut dégager le vrai de toutes ses entraves, et pénétrer jusqu’au fond de l’âme où réside la conviction ; mais l’habileté de la parole consiste au contraire dans le talent d’esquiver, de parer adroitement avec quelques phrases ce qu’on ne veut pas entendre, et de se servir de ces mêmes armes pour tout indiquer, sans qu’on puisse jamais vous prouver que vous ayez rien dit.

Ce genre d’escrime fait beaucoup souffrir une âme vive et vraie. L’homme qui s’en sert semble votre supérieur, parce qu’il sait vous agiter, tandis qu’il reste lui-même tranquille ; mais il ne faut pas pourtant se laisser imposer par ces forces négatives. Le calme est beau quand il vient de l’énergie qui fait supporter ses propres peines ; mais quand il naît de l’indifférence envers celles des autres, ce calme n’est rien qu’une personnalité dédaigneuse. Il suffit d’une année de séjour dans une cour ou dans une capitale pour apprendre très-facilement à mettre de l’adresse et de la grâce même dans l’égoïsme : mais pour être vraiment digne d’une haute estime il faudroit réunir en soi, comme dans un bel ouvrage, des qualités opposées : la connoissance des affaires et l’amour du beau, la sagesse qu’exigent les rapports avec les hommes, et l’essor qu’ins-