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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

D’ailleurs il faut de l’art, et beaucoup d’art, pour trouver un dénouement, car il y en a rarement dans la vie ; les faits s’enchaînent les uns aux autres, et leurs conséquences se perdent dans la suite des temps. La connoissance du théâtre seule apprend à circonscrire l’événement principal et à faire concourir tous les accessoires au même but. Mais, combiner les effets, semble presque aux Allemands de l’hypocrisie, et le calcul leur paroît inconciliable avec l’inspiration.

Goethe est cependant de tous leurs écrivains celui qui auroit le plus de moyens pour accorder ensemble l’habileté de l’esprit avec son audace ; mais il ne daigne pas se donner la peine de ménager les situations dramatiques de manière à les rendre théâtrales. Quand elles sont belles en elles-mêmes, il ne s’embarrasse pas du reste. Le public allemand qu’il a pour spectateur à Weimar ne demande pas mieux que de l’attendre et de le deviner ; aussi patient, aussi intelligent que le chœur des Grecs, au lieu d’exiger seulement qu’on l’amuse, comme le font d’ordinaire les souverains, peuples ou rois, il se mêle lui-même de son plaisir, en analysant, en expliquant ce qui ne le frappe pas d’abord ; un tel public est lui-même artiste dans ses jugements.