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COMTE D’EGMONT

démentie, mais dans l’art de peindre le vice et la vertu de manière à inspirer la haine pour l’un et l’amour pour l’autre.

À peine le bruit de l’arrestation du comté d’Egmont est-il répandu dans Bruxelles, qu’on sait qu’il va périr. Personne ne s’attend plus à la justice, ses partisans épouvantés n’osent plus dire un mot pour sa défense ; bientôt le soupçon sépare ceux qu’un même intérêt réunit. Une apparente soumission naît de l’effroi que chacun inspire en le ressentant à son tour, et la terreur que tous font éprouver à tous, cette lâcheté populaire qui succède si vite à l’exaltation, est admirablement peinte dans cette circonstance.

La seule Clara, cette jeune fille timide qui ne sortoit jamais de sa maison, vient sur la place publique de Bruxelles, rassemble par ses cris les citoyens dispersés, et leur rappelle leur enthousiasme pour Egmont, leur serment de mourir pour lui ; tous ceux qui l’entendent frémissent. « Jeune fille, lui dit un citoyen de Bruxelles, ne parle pas d’Egmont, son nom donne la mort. — Moi, s’écria Clara, je ne prononcerois pas son nom ! ne l’avez-vous pas tous invoqué mille fois ? n’est-il pas écrit en tout lieu ? n’ai-je pas vu les étoiles du ciel même