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GOETZ DE BERLICHINGEN

voit entraîner à tous les autres. Cette criminelle Adélaïde donne lieu à l’une des plus belles scènes de la pièce, la séance du tribunal secret.

Des juges mystérieux inconnus l’un à l’autre, toujours masqués, et se rassemblant pendant la nuit, punissoient dans le silence, et gravoient seulement sur le poignard qu’ils enfonçaient dans le sein du coupable ce mot terrible : TRIBUNAL SECRET. Ils prévenoient le condamné, en faisant crier trois fois sous les fenêtres de sa maison : Malheur, malheur, malheur ! Alors l’infortuné savoit que partout, dans l’étranger, dans son concitoyen, dans son parent même, il pouvoit trouver son meurtrier. La solitude, la foule, les villes, les campagnes, tout étoit rempli par la présence invisible de cette conscience armée qui poursuivoit les criminels. On concoit comment cette terrible institution pouvoit être nécessaire, dans un temps où chaque homme étoit fort contre tous, au lieu que tous doivent être forts contre chacun. Il falloit que la justice surprît le criminel avant qu’il pût s’en défendre : mais cette punition qui planoit dans les airs comme une ombre vengeresse, cette sentence mortelle, que pouvoit receler le sein même d’un ami, frappait d’une invincible terreur.