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A ces mots Alaric s’assied sur le rocher ;
Et priant ce vieillard de vouloir s’aprocher,
Il le conjure encor d’assouvir son envie,
Et de luy reciter l’histoire de sa vie.
L’hermite venerable en le satisfaisant,
D’un ton de voix qui charme, et d’un air complaisant,
Assis aupres du roy (car il le luy commande)
Fait ainsi le recit de ce qu’on luy demande.
Les lettres et les arts ayant fait mon bonheur,
Aux despends de ma gloire il faut leur faire honneur.
Roy le plus grand des roys, la puissance infinie
Me fit venir au jour dans la froide Hibernie :
Et d’une qualité qui ne vit que le roy,
Plus noble que j’estois, ny plus riche que moy.
Mais de mon fier païs la sauvage coustume,
Ignorant ce que peut une sçavante plume,
Esleva ma jeunesse avec si peu de soin,
Qu’il n’est rien d’excellent dont je n’eusse besoin :
Et je fus à la cour sans autre connoissance,
Que celle de l’orgueil d’une illustre naissance ;
Que celle du haut rang où l’on ne peut cacher,
L’ignorance honteuse, et qui fait tant broncher.
Cependant la fortune, aveugle aussi bien qu’elle,
Fut de tous mes desseins la complice fidelle :
Et sans sçavoir pourquoy, ny sans le meriter,
J’eus toute la faveur que l’on peut souhaiter :
Mais j’en usay si mal par ma raison trompée,
Qu’aux mains d’un furieux ce fut mettre une espée.
Je donnois sans mesure, et sans