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Six robustes rameurs par le vieillard nommez,
Se rangent deux à deux à dos desja courbez ;
A bras desja tendus ; à rames desja hautes ;
Et le divin Typhis suivant ces argonautes,
Se place au gouvernail le prelat pres de luy,
Plein de crainte et d’espoir, d’allegresse et d’ennuy.
Alors desja bien loing les montagnes laissées,
S’enfoncent dans les flots les rames abaissées,
La chaloupe s’eslance, et par un grand effort,
Du navire immobile elle esloigne le bord.
Comme on voit chaque soir au milieu du silence,
Voler l’oyseau nocturne avecques violence ;
Se perdre dans la nuit en s’eslevant aux cieux,
Et dans l’obscurité se desrober aux yeux.
De mesme la chaloupe en voguant parmy l’ombre,
Entre les flots noircis trouve une route sombre ;
Disparoist aux nochers ; et vole sur cette eau,
Comme vole dans l’air le tenebreux oyseau.
Par ces hardis rameurs sont desja descouvertes,
Les cimes des rochers de deux isles desertes :
Et le dernier escueil, comme en esloignement,
A ces mesmes rameurs paroist confusément.
Car malgré le demon dans cette nuit obscure,
Son art surnaturel cedoit à la nature :
Et malgré les broüillards qu’il avoit amassez,
On voyoit de l’escueil les sommets herissez.
Alors ramant encor plus fort que de coustume,
Parmy les flots tous noirs ils font blanchir l’escume :