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Les Délices

Auſſi grand Capitaine que pieux Prélat, s’il sût faire confirmer les anciens Droits de ſon Egliſe, & lui en aquerir de nouveaux ; il sût défendre les uns & les autres à la pointe de l’épée, & les conſerver malgré toutes les forces, & les artifices de ceux qui vouloient les uſurper. Meilleur politique que ſes uſurpateurs, il sût, au moïen de quelques ſommes lachées à propos, joindre leur propre fonds à l’ancien Patrimoine de ſon Egliſe.

    auſſi puiſſant, que l’étoit le Peuple Romain, & qui cauſa enfin la deſtruction totale de tous les Eburons ?

    Que l’on faſſe atention aux qualités de Céſar & à celles d’Ambiorix, & aux motifs qui les animoient l’un & l’autre. Que l’on conſidére d’un autre côté les qualités de Notger, & celles du Poſſeſſeur de la Fortereſſe de Chevremont, la cauſe qui ouvrit à Notger les portes de cette Fortereſſe, la Religion qui ſervit de maſque à ſes intentions, un grand nombre de Chrétiens innocens envelopés dans le maſſacre des prétendus coupables, une mere malade, égorgée impitoïablement avec l’enfant, qu’il étoit queſtion de régénerer par les eaux du Bâtême. Je laiſſe à part le renverſement des Lieux ſaints, & le riſque que couroit Notger, de s’atirer ſur les bras tous les parens du prétendu Tiran, peut-être même toutes les forces de France.* Que l’on ſe ſouvienne que Notger étoit Evêque, que le Poſſeſſeur de la Fortereſſe de Chevremont étoit Chrétien Catholique, & qu’enfin Ambiorix & Céſar vivoient dans les ténébres du Paganiſme, & il ſera aiſé de juger laquelle des deux expéditions est la plus loüable.

    On ne peut diſconvenir, que le bon ou le mauvais ſuccès, ne regle ordinairement le mérite des actions. Je me rapelle à ce ſujet la réponſe que fit à Alexandre cet Ecumeur de Mer, dont parle l’Hiſtoire ; je ſuis un Pirate parce que je cours la Mer avec une ſimple Frégate, ſi je la courois avec 30 bons Voiliers, je ſerois un Conquérant. C’est ſuivant ce principe, que ce qui paroit à Foullon un crime atroce dans Ambiorix, lui paroit dans Notger une vertu du premier Ordre.

    C’eſt le même eſprit de prévention, qui lui a fait dire, que la Ville de Liége n’avoit point été fermée de Murs, avant que Notger fut parvenu à l’Epiſcopat : voici ſes termes. Templum Martinianum triplici vallo, & muro intra Civitatem clauſit ; Urbiſque reliqua, eundem in modum, muro, ac turribus, communivit, cùm anteà mœnibus ſepta non fuiſſet, ut quidem exiſtimamus. Ce qui ſignifie, mot à mot. Il joignit l’Egliſe de ſaint Martin à la Ville par un mur & un triple Rempart ou Foſſé. Il fit pareillement fermer de murs la Ville, qui, je crois, ne l’avoit point été juſques-là, & la fit fortifier par un triple Rempart & par des Tours.

    Si le fait, qui eſt l’objet de cette remarque particuliére, avoit été vrai, Anſelme & Gilles d’Orval, Panégiriſtes outrés de Notger, ne lui en auroient pas ravi la gloire. Anſelme, qui écrivit peu de tems après ſon décès, en aurait été inſtruit. Notger mourut éfectivement l’an 1008. & Anſelme dédia ſon Livre à Annon, Archevêque de Cologne, comme on le voit par la lettre qui eſt à la tête du 1. Tome de Chapeauville : Annon, ſelon Baillet en ſes vies des Saints, fut ſacré l’an 1055. & mourut l’an 1075.

    * Cette ſeconde Réflexion n’a pas échapé à Fiſen.

    Foullon ſe l’eſt diſſimulée.