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Les Délices

tous ſes atraits enfin ſe font voir ſans obſtacle. Aucune de ſes graces n’échape aux regards du Spectateur.

La Bourgeoiſe qui croit avoir des raiſons pour voir ſans être vûë ; trouve dans la Faille une eſpéce de nuage qui la cache aux yeux qui lui déplaiſent : ſouvent même ce n’eſt pas le ſeul avantage qu’elle tire de ce voile. Au reſte elle y trouve un abri contre les frimats de l’hiver & les chaleurs de l’été. Voilà des raiſons que la nature autoriſe. En voici d’inſpirées par l’intérêt.

La Bourgeoiſe privée de la Faille ſeroit obligée de donner plus de momens à ſa parure, & par conſéquent à plus de dépenſe. Elle conteroit même perdre le tems ſi elle ne l’emploïoit à ſon commerce ou aux affaires domeſtiques ; mais graces à ce voile elle ſe diſpenſe de s’ajuſter. Elle ſort de ſa maiſon & va par tout où il lui plait avec la premiere robe & la premiére coifure qui lui tombe en main, ſans avoir beſoin de s’arrêter à ſa Toilette & ſans conſulter le Miroir. La Faille eſt donc très-propre non ſeulement à couvrir la négligence & la pareſſe, & à favoriſer les affaires ſecrétes, mais encore à ménager un tems qu’elles peuvent donner à des ocupations plus utiles, plus intéreſſantes, & même plus chrêtiennes ; mais ne peut-elle pas auſſi donner lieu à la pareſſe, & à la malpropreté ? Le beau Sexe ne peut-il pas tomber dans ces défauts auſſi bien que les hommes ? La Faille eſt certainement capable de les produire & de les fomenter chès elles, ainſi que le manteau chès eux. On les voit dans les ruës, les promenades, les Égliſes, & dans tous les lieux publics en Robe de chambre, en veſte & en chemiſe, le manteau les cache, & ſuplée à toute ſorte d’habillemens. Tel eſt l’uſage établi parmi la plûpart des Commerçans & de tous les Artiſans. On conviendra ſans dificulté que la décence étant ainſi violée, la propreté riſque beaucoup ; mais je m’aſſure que le beau ſexe n’eſt pas ſuſceptible de l’air contagieux du manteau. Je n’en veux d’autre garand, que l’averſion naturelle qu’il a pour la malpropreté, & qu’il évite avec autant de ſoin, qu’il a d’horreur pour ceux qui ſe produiſent dans un ſale équipage.