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du Pais de Liége

grand voile noir qu’on apelle Faille. Il eſt vrai que ce voile ſemblable à un nuage qui cache le brillant du ſoleil, dérobe bien des beautés aux curieux ; ils ont beau les lorgner, ils ne ſauroient apercevoir leurs traits, ils ſe dérobent ſucceſſivement à la pointe des yeux les plus perçans, au lieu qu’elles les voient tels qu’ils ſont, en regardant ſeulement du coin de l’œil : & quoi qu’il ſemble que cette modeſtie mette bien des cœurs à l’abri d’une infinité de bleſſures auſſi dangereuſes que délicates, on ne peut diſconvenir qu’un ſeul œil dardant ſes raions de deſſous ce voile, ne ſoit très-propre à déranger ceux qui en ſont frapés. Si l’uſage de la Faille n’est pas du goût des étrangers, comment s’acomoderont-ils des femmes d’Italie & de quelques autres climats, qu’on peut dire ſe rendre comme inviſibles non seulement aux étrangers, mais encore à ceux de leur Nation ? Les Femmes de qualité ne ſont pas exceptées ; mais celles du Païs de Liége se distinguant des autres, paroiſſent publiquement ſans voile & avec tous leurs ajuſtemens. On les voit aux promenades & aux ſpectacles, dans les ruës & dans les Égliſes, avec autant de liberté, & miſes du même goût que les Dames de France.

Cependant, tout bien conſidéré, l’uſage & le non uſage de la Faille ont leur pour & leur contre. Il n’y a peut-être pas moins d’affectation d’avoir toûjours la tête dégagée d’une Coife noire, qu’à l’avoir cachée dans un voile de cette même couleur. On peut même dire que l’une & l’autre de ces maniéres ont leur agrément. Une Dame de qualité, qui ne penſant qu’à faire des conquétes, veut étaler ſes apas, trouve dans ſa maniére de quoi ſe ſatisfaire. Son viſage & ſes traits, ſa taille & ſon port,

    habitus, niſi quod fœminæ ſæpiùs lineis amictibus velantur, eoſque purpurâ variant, partemque veſtitûs ſuperioris in manicas non extendunt, nudæ brachia ac lacertos.

    Elles n’étoient pas plus ſcrupuleuſes ſur ce que les Liégeoiſes actuelles cachent avec tant de ſoin, & tant de précaution, elles ignoroient l’uſage des guimpes, des mouchoirs, des fichux, des palatines. Sed & proxima pars pectoris patet. Tout ce que l’on peut dire à cet égard, eſt que ce qui eſt permis dans un tems, eſt quelquefois défendu dans un autre, & que l’on doit ſe conformer aux uſages du Siécle, auquel l’on vit.