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comme un enfant. Au bout de dix minutes, il n’y tient plus ; il vous tire sa révérence et renonce à la piastre si désirée, tant la moindre contrainte lui est odieuse ! Son sacrifice est fait à l’instant, sans hésitation ; il rentre dans son insouciance philosophique et s’en va chantant de tout son cœur sans songer à ce qu’il vient de perdre.

Ce sont des contes de bonnes femmes et des récits de commis voyageurs qui ont dépeint ces gens-là comme des assassins et des coupe-jarrets. Nulle part il n’y a autant de misère qu’à Naples et nulle part on n’a aussi peu de goût pour le désordre. Avec une police moins active que celle de Londres, le chiffre des crimes est moindre en proportion du nombre des habitants et, quand on parle d’un assassinat, le motif en est ordinairement une passion et non pas la cupidité. Le lazzarone se donnera beaucoup de peine pour gagner un sou. Si le sou lui arrive, il suffit à son bonheur. J’ai vu un pauvre barcarol, chez qui un de mes amis avait oublié un parapluie, courir toute la ville pour chercher le propriétaire inconnu, arriver enfin tout essoufflé, après dix heures de marche, et remettre le parapluie à une servante, sans penser à la gratification de rigueur. Le lazzarone vous demandera un grano avec importunité, s’il en a besoin ; mais, à l’heure où il remplit un devoir, rend un service, ou prête son secours à une personne embarrassée, la récompense ne lui entre point dans l’esprit. Si l’étrier d’un cheval se rompt, il accourt à l’aide avec empressement, puis il ôte son bonnet au cavalier et lui souhaite un bon voyage. Si vous faites un marché quelconque avec le lazzarone, c’est différent ; il vous demandera sans pudeur le triple du prix