Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
MÉMOIRES.

J’ai dit en commençant ce chapitre que j’ai toujours aimé les récollets : je me les rappelle d’aussi loin que mes souvenirs peuvent s’étendre ; mais ma mémoire tenace se souvient aussi des moindres objets, entre autres d’une cheminée solitaire, seul reste d’une maison brûlée, ou détruite autrement, qui existait alors dans la paroisse de l’Islet.

— Voilà le bonhomme qui joue du violon, pense le lecteur ; quelle analogie peut-il y avoir entre un récollet et une cheminée solitaire ?

— Doucement, bénévole lecteur, doucement, s’il vous plaît : rien ne presse encore. Je suis fou de la musique, et je n’ai pourtant jamais pu réussir à apprendre le violon, mon instrument favori : vous conviendrez alors, que je dois casser mon archet de désespoir, puisque j’ai atteint l’âge de soixante-et-dix-neuf ans.

Je reviens à mes récollets et à ma cheminée vierge de maison. Il n’importe d’établir lesquels j’ai premièrement connus. Le lecteur, qui, lui, ne joue pas du violon, pourra certainement résoudre ce problème.

Mon père allait dîner un jour au cap Saint-Ignace chez son vieil ami, le seigneur Vincelot ; il me tenait sur ses genoux, ou m’asseyait près de lui dans son cabriolet, une jambe en travers du siège de la voiture pour m’empêcher de tomber, car j’étais alors bien petit. Arrivé sur les coteaux de l’Islet, au sud-ouest de la grande anse, j’aperçus une cheminée semblable à celle que j’ai décrite. Elle me parut démesurément longue ; et elle avait l’air triste dans son isolement.

Accoutumé à voir les cheminées sur les maisons, je