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après un combat opiniâtre, les pauvres animaux se résignent à leur sort et nagent avec vigueur tant par instinct de conservation, que pour éviter les coups de gaules dont ils ont déjà un avant-goût.

Un étranger qui voyait venir un canot traversant le fleuve avec une grande vitesse, sans voile, rames ou avirons, se vouait à tous les saints pour expliquer ce phénomène, jusqu’à ce qu’il vit sortir de l’eau, comme des tritons, une douzaine de bœufs dont il n’avait pu soupçonner de loin la présence à l’entour du canot. En effet ces pauvres bêtes étaient ordinairement si fatiguées qu’on ne leur voyait que le museau hors de l’eau, lorsqu’elles arrivaient sur les grèves de la Basse-ville.

Je n’ai jamais entendu parler d’accidents arrivés à ceux qui traversaient le fleuve de cette manière primitive et ingénieuse. Dès qu’un bœuf à bout de force devient intraitable, qu’il lutte contre la mort, ce qui arrive rarement, disaient les canotiers, on coupe l’amarre qui l’astreint au canot, et si le propriétaire tient à la peau de sa bête, il va la chercher à l’île d’Orléans, au Cap-Rouge ou ailleurs.

J’ai donc eu raison de dire que la race bovine a eu lieu de se réjouir autant que la race humaine à l’aspect du Lauzon, dans lequel elle traversa ensuite le Saint-Laurent sans fatigue, et sans autre avanie que quelques coups de gaules distribués par ci par là aux paresseux pour les faire entrer et sortir du vapeur.