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comme sa sœur Marguerite, et que la famille appelait Charlotte Corday, son héroïne, parce qu’elle disait souvent qu’elle aurait voulu naître homme pour assassiner quelques-uns des scélérats qui avaient versé tant de sang innocent pendant la révolution de 93, à propos, dis-je, de ma chère tante Agathe, sa bravoure doit lui faire trouver place ici. Une bande de voleurs très-bien organisée répandait il y a trente ans la terreur parmi les personnes riches ou censées l’être dans la campagne. On doit se rappeler les vols audacieux qu’ils commettaient, les personnes isolées, les familles entières que ces brigands liaient pendant la nuit, et toutes les horreurs auxquelles ils se livraient. Ma tante Agathe de Lanaudière, co-seigneuresse de Saint-Valier et réputée riche, vivait seule avec ses domestiques dans une anse de cette paroisse isolée de tous voisins : un charmant bocage très-touffu, à une dizaine d’arpents sur le bord de la grève, donnait à Messieurs les communistes toutes les facilités de s’y cacher même avec leur chaloupe pendant le jour, s’ils n’eussent préféré débarquer, la marée aidant, pendant une nuit sombre à cent pieds du domicile de ma chère tante.[1]

Elle était, pendant ce règne de terreur, sous l’impression, assez naturelle aux personnes dans sa position, qu’elle pouvait être attaquée d’une nuit à l’autre ; on l’avait même prévenue qu’on avait vu rôder depuis quelque temps dans les environs une chaloupe montée par des hommes à figures sinistres. Mais, comme elle avait disposé ses batteries en conséquence, elle était préparée à tout événement, et toujours sur le qui-vive.

  1. Cette belle propriété appartient maintenant à mon gendre, l’Honorable Charles Alleyn, qui l’a acheté pour la conserver dans la famille.