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que vous voyez par suite d’un fâcheux accident dont je dois accuser la rigueur de la saison : mon pauvre nez couvert de mouches vous explique ma triste aventure, Monsieur de Lanaudière peut rendre témoignage que ce même nez qui se cache si honteusement ce soir a fait tourner, autrefois, la tête à bien des galants ; et j’ajouterais, si je ne craignais de rendre la maîtresse de céans jalouse, que le seigneur de La Pérade[1] lui-même ne s’en est pas retiré lui-même sans de graves blessures ; car vous étiez à cette époque, mon cher de Lanaudière, un grand mangeur de cœurs.

La vieille dame, après avoir poussé deux à trois soupirs, et lancé autant de tendres œillades à son ancien ami, tira de sa poche une immense et magnifique boîte d’or, dans laquelle son trisaïeul devait avoir fréquemment prisé du tabac d’Espagne : se leva majestueusement et faisant le tour de la chambre s’arrêta en faisant une belle révérence devant chaque personne de la société en disant : « en usez-vous » ? La révérence était strictement rendue par tous les assistants qui ne voulaient pas être en reste de courtoisie envers cette vénérable douairière. Et elle faisait la même corvée toutes les dix minutes la tabatière d’une main et un mouchoir de l’autre, en disant : « en usez-vous » ? avec forces révérences que chacun s’empressait de lui rendre. Tous les convives, obligés de se tenir à quatre pour s’empêcher d’éclater de rire, étaient au supplice, tandis que mon oncle de Lanaudière riait franchement tout en se réfugiant dans une chambre voisine dans

  1. Charles de Lanaudière, sieur de La Pérade.